17.1.11

Idées reçues sur le Moyen Age


Un roman de fantaisie se situe souvent dans un environnement pseudo-médiéval ou antique. On peut attribuer cette tradition aux récits d'Homère, aux légendes arthuriennes et même à Tolkien. Toujours est-il que le médiévisme comme source d'un monde de fantaisie est une convention solidement ancrée.

D'un point de vue du récit, cette convention a un énorme avantage: les lecteurs sont déjà familiarisés avec les grandes lignes d'un monde médiéval. Même si un lecteur n'a jamais lu de fantaisie auparavant, il a au moins vu quelques gravures médiévales dans ses manuels scolaires, et vu quelques classiques de cape et d'épée à la télé.

Gros avantage pour l'auteur: on peut dépeindre une scène rapidement et le lecteur peut remplir les blancs. "Il tendit l'oreille. Le son du cor résonna de nouveau dans la forêt, lugubre et insistant. En hâte, il étouffa les braises de son feu de camp et resella son cheval." Pas besoin de décrire un cor, un feu de camp, un cheval ou une selle. En comparaison, l'auteur de SF devra introduire un moyen de communication, une végétation extra-terrestre et un véhicule -- descriptions qui peuvent facilement devenir pesantes.

Donc, l'avantage de l'environnement médiéval, c'est qu'on peut faire de l'impressionisme, dépeindre le cadre à petites touches. En fait, on peut se contenter de signaler au lecteur ce qui n'est pas "normal" -- c'est-à-dire tiré du Moyen Age réel -- et son imagination fait le reste en utilisant les connaissances du lecteur.

L'inconvénient de l'environnement médiéval, c'est que lorsqu'on utilise ces connaissances, on se heurte à ses idées reçues. On croit savoir beaucoup de choses sur le Moyen Age, mais elles sont en général archi-fausses.

Par exemple, le rôle des moines dans la société. Dans l'imaginaire collectif, le monastère occidental (chrétien donc) est un havre de paix où des religieux pacifistes et passifs partagent leur temps entre l'enluminure et la prière. Mais quand les barbares arrivent, les malheureux, incapables de se défendre se font massacrer sans opposer la moindre résistance.

Les Vikings et les Sarrasins ont certes rasé plusieurs monastères et couvents durant le haut Moyen Age, tuant tout ce qui bougeait et pillant le reste, fauchant comme du blé mûr les moines terrorisés. Les bonzes de Shaolin, eux, auraient mis une bonne raclée aux envahisseurs, hein? C'est du moins l'image d'Epinal.

Mais les moines occidentaux étaient-ils vraiment incapables de se battre? Pas du tout! En fait, dans certains monastères, l'entraînement à la lutte était quotidien. Corps-à-corps, lutte au bâton, escrime, maniement du bouclier... La plupart des arts de combat rapprochés y étaient enseignés.

Les sources historiques ne sont pas légion, c'est vrai. Cependant, on peut se référer à des ouvrages comme Der Altenn Fechter de Hans Lecküchner (un moine allemand du XVIe siècle), consultable en ligne à la Bibliothèque de l'Etat de Bavière, d'où est tirée la gravure ci-dessus.


Mais le manuscrit de référence est le I.33 (prononcer un-trente-trois) conservé au British Museum. Ce Fechtbuch (manuel d'escrime en allemand) date du XIIIe, écrit en latin, dépeint entre autres des moines s'entraînant à l'épée, et s'adresse à un public de lettrés déjà familier avec les bases du maniement des armes. L'auteur était sans doute un maître d'arme écclésiastique voulant laisser un manuel à ses étudiants.

On peut se demander si les moines dépeints dans l'ouvrage sont vraiment des élèves du maître d'arme, ou s'ils ne sont qu'une représentation convenue, mais d'autres sources en témoignent : l'apprentissage du métier des armes était assez répandu dans les monastères médiévaux. Pas besoin d'aller jusqu'en Chine pour trouver des moines sachant se défendre, et tant pis pour les idées reçues.

13.8.10


J'ai déjà mentionné Robert Heinlein au chapitre de la SF. Un auteur immense qui s'est lancé au petit bonheur, et cela lui a réussi.

Une biographie de l'auteur vient d'être publiée (en anglais). Les lecteurs passionnés de SF, ainsi que les auteurs en herbe, pourront trouver sa vie intéressante. Voilà un homme plein de contradictions. Communiste puis conservateur, démocrate puis libertaire, à l'aise dans les récits sentimentaux comme dans la SF pure et dure, très droit et pourtant sans vergogne, Heinlein ne laisse pas indifférent, dans sa vie comme dans ses écrits.

Les gens qui pensent l'avoir catalogué recevront un choc à la lecture de cette bio très détaillée. Et les auteurs qui se cherchent encore une discipline de travail pourront s'inspirer de celle d'Heinlein.

22.11.09

Machines qui pensent


Les machines qui pensent et qui imitent les capacités du cerveau humain sont un très vieux thème en SF. On pense d'abord aux robots, popularisés par l'écrivain tchèque Karel Capek qui, dans sa pièce "R.U.R." de 1920, décrit des robots pensants et très peu satisfaits de leur place dans la société. Asimov, bien sûr, est l'auteur le plus connu du genre, avec ses nouvelles rassemblées en français sous le titre "Les robots" et "Un défilé de robots".

Robots, un vieux rêve de la SF

Le thème n'a pas été inventé par la SF. La mythologie en la fantasy abondent en golems, zombies et autres créatures anthropomorphes obéissant plus ou moins servilement aux ordres de leur maîtres.

La réalité était moins reluisante. Quand on songe aux promesses de la SF des années 50 pour l'an 2000 en matière de "cerveaux électroniques" et d'hélicoptères pour tous, on a presque honte de son PC qui plante un lundi matin après une heure d'embouteillages -- au fait, où est ma voiture volante?

L'informatique à la rescousse

Heureusement, il y a de l'espoir. Durant la récente conférence sur les super-ordinateurs (SC09) qui s'est tenue à Portland (USA), la firme IBM a annoncé qu'une équipe de recherche de son centre d'Almaden a créé la simulation de cerveau la plus poussée à ce jour. La simulation cerveau en question, nommée C2, comprend 1,6 milliard de neurones interconnectés par 8870 milliards de synapse. Soit davantage que le cerveau d'un chat.

La simulation "tourne" au centième de la vitesse réelle d'un cerveau de mammifère, en dépit de la puissance impressionnante du matos qui fait tourner C2. La machine, nommée Dawn (aurore), est un ordinateur parallèle de type BlueGene/P comprenant 147 456 processeurs et 144 téra-octets de mémoire. Le tout occupe un centre de calcul entier au laboratoire national américain Lawrence Livermore. La bête consomme 1,4 MW (et je ne sais même pas si la conso de la ventilation et du refroidissement est incluse dans ce chiffre). Chaque synapse était simulé par seulement 16 octets. Sachant qu'un synapse représente un souvenir ou un geste appris, on se rend compte de la fragilité de la mémoire humaine...

Les chercheurs ont stimulé ce cerveau en lui "montrant" des images, simulant ce qui se passe dans le cortex visuel.

Leur erreur a été d'agiter un câble Ethernet devant la caméra, déclenchant des réflexes de prédateurs chez le félin synthétique. Les 200 tonnes de matos se sont jetées sur le câble, massacrant les chercheurs et dévastant le labo. Ainsi périssent les impies qui jouent avec des forces qui dépassent l'entendement humain.

Non, bon, d'accord, ce n'est comme ça que ça s'est passé. Les chercheurs ont plus prosaïquement "montré" des logos IBM à cette pauvre simulation. Les rapports ne disent pas si C2 a immédiatement sorti son carnet de chèque pour acheter un nouveau produit qui n'existe que sur brochure, ce qui se passe souvent quand on montre le sigle IBM à des managers.