2.4.07

Ecrire de la fantasy: les bases (2ème partie)

Comme promis, cet article explique comment vendre des articles.

J'ai écrit de très nombreux articles sur des sujets comme les jeux de rôle, l'informatique, les jeux vidéo, l'histoire... Ca m'a permis de me former au rude métier de l'écriture, et j'ai écrit (et publié) plusieurs livres. Je recommande donc la technique à quiconque veut débuter dans l'écriture.

Bosse du commerce

Notez que j'ai dit "vendre des articles" et non "écrire des articles". N'importe quel zozo est capable de pondre un papier. La patte du maître, ce n'est pas tant à la qualité de son écriture qu'on la voit, c'est dans le fait qu'il se fait payer pour écrire !

Bon, j'en vois qui râlent, là. "Vil mercantilisme", qu'ils disent... On découvre souvent un certain snobisme envers le succès commercial. Notons que c'est là un travers typiquement français. Les Américains sont moins complexés que nous vis-à-vis de l'argent. Comme si le véritable génie de l'écriture consistait à mourir de faim incompris de tous, laissant un tas de papiers moisis qui seraient un jour découverts par hasard et emporteraient un succès posthume. C'est vrai que c'est arrivé quelques fois dans l'histoire, mais pas assez souvent pour en faire une règle.

Alexandre Dumas filsRegardons les choses en face : si personne ne vous publie, vous pourriez être un nouvel Alexandre Dumas et nul ne s'en rendrait compte. (La réciproque n'est pas vraie, il se publie un tas de choses illisibles.) Donc, apprendre à plaire fait partie de la formation de base de l'écrivain. Et rien n'est plus formateur que d'apprendre à écrire vite sur un sujet et dans un espace et un style déterminés.

La méthode

Pour bien commencer, il faut donc voir l'écriture d'un article comme un travail, une prestation payée, qu'on fait sur commande.

La méthode est la suivante:

  • Choisir un domaine et connaître son marché
  • Cibler une publication
  • Contacter la rédaction
  • Ecrire l'article
  • Suivre la publication
  • Proposer d'autres articles

Notez que l'écriture de l'article intervient après un travail de reconnaissance du terrain. Il est presque impossible de vendre un article écrit à l'avance.

Connaître son marché


Pour vendre un article, il est préférable de connaître le domaine en question. Peut-être êtes-vous passionné d'apiculture, ou de gravure sur bois? Il y a des publications sur la question. Etes-vous collectionneur de X, amateur de Y? Vous êtes capable de parler sur le sujet? Vous pouvez écrire un article.

Donc, vous devez d'abord choisir un domaine où vous pensez pouvoir écrire quelque chose d'intéressant.

Mais ce domaine est-il "porteur"? Vous pouvez par exemple être incollable sur les chariots de guerre scythes, un sujet intéressant mais un peu restreint. Un sujet trop étroit signifie que seules des publications obscures s'y intéressent. Soyez prêt éventuellement à élargir votre champ (à la stratégie dans l'antiquité par exemple).

Et comment savoir qu'un sujet est porteur? Par son nombre de publications. Si vous avez deux ou trois revues sur le sujet, vous pouvez être sûr que votre domaine de prédilection est considéré comme un marché rentable.

Sinon, soyez prêt à attaquer des domaines voisins de votre passion, ou bien à élargir le thème.

Cibler une publication

Donc, vous avez un domaine en vue, et il y a des publications qui en parlent. Parfait! Maintenant, il est temps d'acheter ou de commander autant de périodiques que possible sur le sujet. Voici quelques sites qui listent la presse francophone:
Attention, ces sites ne sont pas nécessairement exhaustifs. Certains magazines distribués sur abonnement seulement n'y sont pas listés. Certains journaux politiques n'y sont pas présents non plus.

Il existe également des sites web, pour l'instant assez peu nombreux, qui commandent des articles pour les publier en ligne, et rétribuent les auteurs grâce à la publicité. Si cette pratique décolle, nous en reparlerons.

Lire des revuesDonc, investissez dans un certain nombre de revues (que vous pouvez acheter initialement au numéro) et sélectionnez celles qui vous plaisent le plus dans votre domaine. Votre lectorat potentiel est constitué de passionnés. Si vous êtes passionné d'un domaine et qu'une revue vous déplaît, il y a des chances que d'autres passionnés lui portent le même jugement.

Et les généralistes? Peut-être que "Le Point" ou "Paris-Match" accepterait votre papier sur les phalanges grecques, à la faveur de la sortie d'un film sur l'antiquité? Oui, peut-être. Mais ne nous leurrons pas. Les gros magazines généralistes ont en général des rédacteurs salariés et des occasionnels attitrés. Il est très difficile pour un inconnu d'y faire publier ses papiers, sauf par copinage. Si vous êtes une sommité dans votre domaine, ils accepteront peut-être un article, en mots de deux syllabes maximum pour ne pas effaroucher les annonceurs, mais ne rêvez pas. Concentrez-vous sur les revues spécialisées.

Ensuite, les choses sérieuses commencent.

Contacter la rédaction

Pour contacter une publication, la méthode la plus simple et la plus directe est de téléphoner. Bien sûr, si vous êtes du genre timide au téléphone, la méthode est à déconseiller: écrivez. Mais autrement, appelez. Vous tomberez rarement sur la bonne personne. Demander qui s'occupe des piges.

Les piges, qu'est-ce que c'est? Ce sont des articles commandés à des rédacteurs occasionnels, les "pigistes", et c'est au rang de pigiste que vous essayez justement de parvenir. Les "piges" constituent une part très variable du contenu des journaux. J'ai connu des magazines dont la rédaction n'avait que deux ou trois salariés, d'autres qui n'en avaient qu'un seul (exemple : feu ST-Magazine, sur la fin). La majorité du contenu était écrit par le ou les salariés, mais une bonne part provenait de pigistes. En général, la rédaction désigne une personne pour s'occuper des relations avec les pigistes, parfois le rédac-chef lui-même. C'est à celle-ci qu'il faut s'adresser.

Dans tous les périodiques, il y a une période de "bouclage", où on finalise le numéro avant l'envoi à l'imprimerie. C'est le coup de bourre, et c'est un moment peu opportun pour faire sa candidature. Si on vous dit que la personne s'occupant des pigistes est occupée, demandez immédiatement si le périodique est en cours de bouclage, et si oui, demandez quand vous pouvez rappeler. Pas la peine de déranger des rédacteurs stressés.

Une fois que vous êtes en contact avec la bonne personne, demandez si le périodique recherche actuellement des pigistes. Si c'est non, n'insistez pas. Rappelez dans 6 mois. Cerclez la date sur votre calendrier.

Dans le cas contraire, on vous répondra sans doute par un prudent "peut-être". Demandez alors à quelle adresse électronique vous pouvez envoyer un email, ou si au contraire la personne préfère un fax ou une lettre (il y a des traditionalistes!). Notez soigneusement le nom et l'adresse de la personne à contacter.

Sautez sur votre clavier et envoyez un email convaincant. Le message doit être écrit dans un français impeccable, doit être clair et concis, et doit être poli. La lettre doit expliquer pourquoi on peut vous confier des piges. Voici un exemple envoyé à un imaginaire mensuel de la stratégie antique. Remplacez les parties en italique par ce qui convient dans votre cas et personnalisez. Pas de copie littérale, hein, Google aurait vite fait de trouver la source.


Chère Madame Durant,

Suite à notre conversation téléphonique d'aujourd'hui, je vous contacte pour vous proposer mes services de pigiste.

Je m'intéresse à la stratégie antique depuis plus de quinze ans et j'ai des connaissances approfondies dans plusieurs domaines comme les chariots de guerre scythes et la métallurgie des épées ligures. J'ai lu tous les classiques s'y rapportant comme Les Tristes d'Ovide dans sa traduction d'Emile Ripert.

Je lis votre mensuel depuis deux ans et je pense en avoir saisi l'esprit. Je crois pouvoir contribuer efficacement à votre revue, dans la ligne de votre rédaction.

J'aimerai avoir l'opportunité de faire mes preuves dans un petit papier. Auriez-vous un sujet à me confier pour un numéro à venir? Je serais heureux de vous faire parvenir un texte dont vous m'auriez indiqué le sujet et la longueur, dans les délais impartis.

Veuillez agréer, cher Monsieur, mes salutations distinguées.

Eugène Bouchetrou (Eugene.Bouchetrou@abcdef.com)

Notez le style. Vous n'êtes pas un fan délirant d'enthousiasme. Ceux-là, c'est la plaie. Trop enthousiastes pour qu'on leur botte le train, pas assez efficace pour faire un bon boulot. Les pros se méfient des fans. Vous n'êtes pas un fan, vous avez passé ce stade: vous êtes un expert qui veut rentabiliser son hobby.

Relisez, corrigez. On n'a droit qu'à un essai. Torpille à proton armée? Boum, c'est parti.

N'hésitez pas à prendre contact et envoyer une bafouille similaire (personnalisée bien sûr) à plusieurs rédactions. Les pigistes n'ont pas de soucis d'exclusivité. Dans certains domaines techniques, on retrouve souvent les mêmes pigistes dans tous les journaux du domaines.

Avec un peu de chance, une réponse arrive avec:

  • un sujet;
  • une longueur;
  • un délai.

Parfois, luxe du luxe, il y a un gabarit indiqué, par exemple "les articles doivent être en texte simple, les fichiers Microsoft Word ou autre format tordu seront rejetés" ou bien au contraire "voir en pièce jointe le gabarit pour le traitement de texte OpenOffice". Respectez scrupuleusement les indications données. Si besoin est, demandez des explications supplémentaires au secrétaire de rédaction ou au maquettiste, qui s'occupent respectivement de la correction et de la mise en page dans les périodiques. Certains magazines techniques proposent même ces indications de format sur leur site web -- vérifiez avant de poser la question. Si rien n'est indiqué, envoyez votre article sous forme de texte simple, sans retour-chariot après les lignes, avec un retour-chariot pour séparer les paragraphes (formatage dit "au kilomètre").

Ecrire l'article

Au boulot. Vous avez tout ce qu'il faut pour bosser.

A ce stade, il est utile de demander quel est la rémunération des piges, si ce n'est pas précisé. Tout travail mérite salaire, et croyez-moi, après quelques week-ends et nuits blanches passés sur des piges au délai trop court, vous aurez vite compris que c'est bel et bien un travail. Ce sont les fans qui bossent à l'oeil, et vous n'êtes pas un fan, hein?

Il se peut très bien qu'on vous dise "ce n'est pas rémunéré pour la période d'essai" ou bien "on ne paie pas les pigistes mais vous avez un abonnement gratuit". C'est toujours bon à prendre: faites les quelques piges proposées, et utilisez-les pour enrichir votre liste de publications. Comme ça, la prochaine fois que vous démarchez une revue, vous pourrez fièrement ajouter un paragraphe du genre:

J'ai écrit plusieurs piges pour les magazines "L'Echo de la Stratégie Antique" et "Scythes et Ligures Hebdo".

Lorsque vous aurez une demi-douzaines de piges derrière vous, vous pourrez même joindre à vos lettres de démarchage une "liste de publications" listant vos articles, ce qui est toujours très utile.

Pognon!Naturellement, si vous avez des piges payantes, elles ont priorité par rapport aux piges à l'oeil. Rappelez-vous que si vous acceptez de faire des piges "pour la gloire", c'est seulement pour pouvoir vous bâtir une liste de publications afin de décrocher des piges payantes dans d'autres revues.

Passons à l'étape de l'écriture de l'article. Accumulez de la doc, écrivez (gare au hors-sujet!), et citez vos sources. Rappelez-vous que si vous trouvez quelque chose dans un bouquin ou sur un site web, d'autres peuvent faire la même trouvaille. Bien sûr, citez les sources uniques et non les faits de bases. Par exemple, mentionnez un fait bien connu sans source:
On sait que les chariots scythes étaient renforcés de bronze.

(inutile de dire que vous l'avez lu dans le Quid).

Par contre, citez les sources des détails uniques:
Le professeur Grosskopf a clairement établi en 1978 que les chariots scythes n'avaient pas de roues bardées de lames d'acier, contrairement à l'avis de Cecil B. De Mille.


Après avoir écrit le premier jet, vous comptez les signes (y compris les espace) et découvrez en général que vous êtes trop long. Coupez. Coupez impitoyablement. Mieux vaut résumer un article trop long que délayer un article trop court.

Corrigez, relisez, envoyez.

Suivre la publication

Parfois, votre papier n'est pas publié. Téléphonez pour savoir si la rédaction l'a bien reçu. Il est fort possible qu'ils aient changé d'avis, qu'ils manquent de place, ou bien qu'ils préfèrent vous faire travailler sur un sujet différent. Acceptez. Dans de rares cas, votre papier est si mauvais qu'ils refusent de le publier et ne veulent plus entendre parler de vous. Rassurez-vous, c'est rare, le niveau de la presse française baisse sans cesse.

Si vous avez de bonnes relations avec la rédaction, vous avez parfois la surprise de voir arriver un exemplaire de la revue où vous écrivez (c'est rare pour des piges courtes). D'autres vous mettent dans la liste des abonnements gratuits. Mais les premières piges n'ont en général pas cet honneur! Vous découvrez vos écrits dans les kiosques, comme tout le monde. Vous constatez alors que:

  • Le secrétaire de rédaction a corrigé une faute intentionnelle qui était un calembour subtil (ça vous apprendra à ne pas le prévenir).

  • Le rédac-chef a fait sauter un passage pour éviter une polémique ("Nos lecteurs adorent Cecil B. De Mille et détestent Grosskopf").

  • Votre encadré sur l'historique des pointes de flèches ligures a sauté pour faire de la place à une pub.

  • L'illustration que vous avez fournie est imprimée en format timbre-poste, ce qui la rend complètement illisible.

Respirez un grand coup. Ce n'est pas personnel. C'est le métier qui rentre. Caaalme.

Vous venez d'apprendre la première leçon du pigiste: ne pas s'offusquer facilement. Dites-vous bien que la revue se faisait jusqu'alors sans vous et peut très bien se passer de vous.

OK, vous êtes calmé? Bon. Souriez. Envoyez un email au maquettiste:

J'ai vu mon papier publié dans le numéro 835, merci. J'ai remarqué une erreur, mon subtil calembour du quatrième paragraphe a été perdu dans une correction. C'est de ma faute, je ne l'ai pas signalé. Comment puis-je à l'avenir baliser le texte avec des commentaires à l'intention du maquettiste? Avec du texte entre crochets en majuscules, peut-être? Avez-vous des préférences?

Si vous enguirlandez la rédaction, vous pouvez faire une croix sur les futures piges. Restez poli et professionnel. Cherchez une solution aux problèmes de communication. Soyez une aide et non un boulet, les rédacteurs vous apprécieront d'autant plus.

Proposer d'autres articles


Envoyez un autre email au chargé des piges pour le remercier d'avoir passé votre papier et demander si un autre sujet les intéresserait. A ce stade, vous pouvez proposer des thèmes d'articles: vous êtes publiés, vous êtes de la maison.

N"hésitez pas à dresser une liste d'articles de longueur similaire que vous pourriez écrire. Envoyez la liste au chargé des piges, lui demandant de choisir. On vous demandera peut-être d'envoyer un synopsis de l'article, c'est-à-dire un plan court, pour les articles de plus d'une page. Soyez toujours prêts à le faire et à discuter le synopsis avant d'écrire l'article.


Bravo, ça y est, vous êtes pigiste. Vous avez le droit d'ajouter à votre blason familial le signe du métier: le clavier fumant et la tasse de café. Bienvenue dans notre grande famille.

4 commentaires:

Anonyme a dit…

Super !

J'avais tout essayé sauf le téléphone. J'appelle demain et je mets en pratique.
Article très intéressant.

Ah, oui, encore une chose ! je vais viser moins haut au niveau des magazines ; j'avais tendance à proposer des articles à de grandes revues. Maintenant je vais cibler au niveau régional et local.

Merci

dPca

Eric Ferris a dit…

Merci.

Je recommande en effet de viser les revues spécialisées. Les revues locales publieront plus volontiers un auteur du cru.

Anonyme a dit…

Cher Power Pigeur,
je crains que "prenez toutes les piges même les gratuites ne soit pas du goût des vrais pigistes dont je fus. En effet, au regard de la loi Cressard , qui date de 30 années si je ne m'abuse, la pige est un travail salarié. Toute pige donne lieu à une fiche de paie, et ouvre droit au ASSEDIC à partir d'un certain volume. Pas besoin d'être diplômé, le talent suffit. mais la fiche de paie seule est légale. Si la presse remplissait ses obligations légales, Internet ne concentrerait pas tant de recettes publicitaires aujourd'hui...Je ne vais pas m'en plaindre, moi qui ai quitté la presse pour Internet, mais tout de même. laisser glisser les p'tits papiers, ça pince le coeur.
Annie
Ex chroniqueuse à POP UP :320 euros nets les 2 feuillets, fiche de paie:) et La Charente Libre :30 euros le feuillet, en honoraires :(

Eric Ferris a dit…

Chère Annie,

Vous avez entièrement raison sur le principe. Comme je le dis dans cet article, tout travail mérite salaire. Mais il y a maintes petites publications qui ont une bourse archi-plate, même si (surtout si?) elles font parfois référence. Comme disent les Américains, on ne peut pas espérer du miel en pressant des navets.

J'ai eu mon compte de piges impayées, de rétributions en abonnements... Ceci dit, certains mois, mes piges faisaient la moitié de mon salaire d'informaticien, pour un nombre d'heures bien inférieur. Donc dans l'ensemble, il n'y a pas trop à se plaindre.

Les revues qui rétribuent mal ou pas du tout sont hélas monnaie courante, et mon seul conseil au pigiste est d'accepter seulement s'il a besoin de bâtir sa liste de références et s'il n'a rien d'autre à faire. S'il peut utiliser son temps à écrire des piges rémunérées, il est évident qu'il faut choisir les piges payées.

En ce qui concerne la situation de la presse écrite, elle a mangé son pain blanc, c'est sûr.